L’Ascension

LA PAROISSE DE L'ASCENSION

L’histoire des origines de la paroisse luthérienne de Batignolles-Monceau ne saurait commencer autrement que par l’évocation de la figure du pasteur Frédéric von Bodelschwingh.

 

De Bodelschwingh appartenait à une noble famille westphalienne, qui faisait remonter ses ancêtres jusqu’au XIIe siècle. Son père avait été ministre des finances à Berlin en 1842. Frédéric, né en 1831, soldat à 20 ans, étudiant de 23 à 27 ans, arriva à Paris en 1858. Il se destinait à la mission lointaine, mais il ne devint jamais missionnaire: Paris lui réservait une autre vocation.

 

Dès 1840, dans le cadre de l’Eglise luthérienne de Paris, les pasteurs Louis Meyer et Louis Vallette avaient fondé ce qui devait devenir par la suite la « Mission intérieure » et qui était alors la « Mission allemande et française ». A cette œuvre, ses fondateurs avaient donné pour but de se préoccuper de la desserte spirituelle des nombreux Allemands venus de Bavière, du Wurtemberg, de Bade, de Hesse, de Nassau et de Prusse rhénane, « pour demander à Paris du travail et du pain ».

 

Dès l’année 1845, un rapport que nous avons sous les yeux décrit les diverses activités de la Mission, non seulement dans telle ou telle ville de province, comme le

 

Havre, mais aussi à Paris où un local situé passage Colbert, près du Palais-Royal, permettait de réunir les réfugiés allemands chaque dimanche « de 4 heures à 10 heures », pour leur « donner l’occasion d’écrire, de lire et d’apprendre le français », après quoi la journée s’achevait par une. étude biblique qui groupait un tel nombre de personnes que les responsables de l’œuvre se préoccupaient de rechercher un local plus vaste.

 

Ces pauvres gens vivaient pourtant dans de bien pénibles conditions, dont nous retrouvons l’écho dans une note manuscrite anonyme de l’époque: « Balayeurs de profession, on ne peut s’attendre de leur part à un grand développement intellectuel et moral; tout leur genre d’existence semble destiné à les abrutir. Se lever à 3 heures du matin pour se trouver à 4 heures à leur poste; balayer nos rues jusque vers 5 heures du soir; rentrer brisés de fatigue; se retrouver pêle-mêle dans les mêmes garnis; avoir souvent dès l’enfance les exemples les plus déplorables sous les yeux, tel est leur sort commun. Et pourtant, faut-il le dire ? Nous avons rencontré auprès de ces gens un attachement à l’Eglise et à l’école qui faisait contraste avec la nonchalance à laquelle nous avaient habitués d’autres de nos paroissiens… Ils sont très accessibles, et en leur témoignant quelque intérêt, en cherchant à les grouper et s’occupant d’eux, on peut compter sur leur concours et en

C’est parmi cette population misérable qu’à l’appel de Louis Meyer, von Bodelschwingh décida de travailler. Voici en quels termes émouvants il a lui-même raconté les humbles commencements de son oeuvre. Il s’était installé sur les hauteurs de Montmartre, dans une grande maison « contenant une cinquantaine de logements et appelée le château des Brouillards »: « je crus, écrit-il, que Mont- martre était le point central de la banlieue Nord. J’y louai une chambre pour moi, une autre pour les enfants. J’y mis un petit harmonium; j’y suspendis une image de notre Sauveur; puis je sortis pour chercher des enfants. J’eus peu de peine. Juste au pied de Montmartre, je trouvai, dans une pauvre petite rue, deux petites filles de Hesse, que je pris par la main, avec la permission de leur mère, et que j’amenai chez moi. Avec elles, au nom de Dieu, je commençai l’école ».

Rapidement l’activité de von Bodelschwingh se déplaça vers le village de la Villette, où habitaient de nombreux ouvriers allemands employés dans les carrières des Buttes Chaumont: de cette activité devait naître la paroisse de la Villette. Mais c’est également à cette activité que l’on doit les tous premiers commencements de l’œuvre des Batignolles. Il est intéressant de rappeler ici ce qu’écrivait Auguste Weber sur les premières traces d’un culte évangélique dans ce village des Batignolles: « Au mois de no-

vembre 1834, le Consistoire (Luthérien) reçoit l’avis suivant: deux protestants, MM. Baraton, diacre de l’Eglise réformée, et Schmid, membre de l’Eglise luthérienne, ont résolu de construire, à leurs frais communs, un temple à Batignolles-Monceau, pour la célébration régulière d’un culte évangélique. Ces messieurs font appel aux deux Consistoires, réformé et luthérien, pour obtenir le concours des deux Eglises, lesquelles célébreraient alternativement le culte dans la nouvelle chapelle. La demande fut accueillie favorablement par notre Consistoire. Elle le fut également par le Consistoire réformé. Au mois de décembre 1835, le pasteur Athanase Coquerel, de l’Eglise réformée, écrit qu’il est devenu locataire du temple des Batignolles. Puis le silence se fait, et ce n’est qu’en 1844 que mention est faite des Batignolles. Le 17 mai, le président du Consistoire réformé invite, par lettre, les membres de notre Consistoire à assister au service d’installation du nouveau pasteur des Batignolles. La collaboration des deux Eglises a donc abouti à la création d’une paroisse réformée. »

 

Il faut attendre de nombreuses années pour retrouver l’activité de l’Eglise luthérienne dans ce quartier. Il faisait partie de l’immense territoire de la banlieue Nord, s’étendant de la barrière du Trône à celle de l’Etoile

C’est en 1860 que von Bodelschwing découvrit dans cette banlieue un groupe important de familles allemandes. Il raconte lui-même comment un pauvre balayeur lui remit un jour en main une pièce de 5 francs, comme contribution en vue de l’ouverture d’une école. Encouragé par des gestes de ce genre, il établit bientôt, route d’Asnières, un chalet en bois, qui servit à la fois de lieu de culte et de salle d’école. Ce furent là les modestes débuts de l’Eglise luthérienne dans ce vaste secteur de ce qui était encore alors la banlieue parisienne.

 

En avril 1861, von Bodelschingh s’était marié avec une de ses cousines. Le jeune ménage, habitué cependant à l’aisance et au confort, vint occuper un étroit logement au-dessus de la salle de culte de la Villette. La naissance d’un enfant eut pour conséquence le départ de Mme von Bodel schwing; son mari poursuivit cependant son travail durant encore une année. Puis, ayant obtenu un successeur en la personne du jeune pasteur Berg, son compatriote, il décida de quitter Paris en 1864 pour la vallée de la Ruhr, et plus tard pour la Maison de Diaconesses de Béthel, à laquelle il donna une magnifique extension et dont il conserva la direction jusqu’à sa mort en 1910.

 

L’implantation de la paroisse de langue allemande dans le châlet de la route d’Asnières devait être de courte durée. Le percement d’une nouvelle artère eut

pour conséquence son expropriation. L’indemnité reçue constitua un premier fonds; complété par des collectes et des dons, ce fonds permit l’acquisition d’un terrain sur lequel fut construite l’actuelle église de l’Ascension, dont l’inauguration eut lieu dans les premières semaines de l’année 1866. La dépense totale de l’opération s’était élevée à environ 100.000 frs de l’époque; un anonyme avait donné 10.000 francs; au moment de l’inauguration, 50.000 francs restaient encore à trouver.

Dans une brochure parue en 1941 pour le. 75 anniversaire de l’église de l’Ascension, le pasteur J. Pannier a reconstitué les grandes lignes de la cérémonie d’inauguration grâce à un article paru dans le journal de l’Eglise luthérienne de Paris : « Le Témoignage ». Nous les lui empruntons à notre tour: »Non loin d’une grande voie, alors en construction, qui sera la rue de Rome, le nouvel édifice s’élevait au bord de la rue Dulong (successeur de Cuvier en 1832 comme secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences). Il y avait deux étages: rez-de-chaussée pour les écoles, premier étage pour la chapelle. Un large escalier, d’un accès facile, est, comme le reste de l’édifice, de style gothique. Deux tourelles, à droite et à gauche, donnent un aspect monumental. (En 1908, ces deux tourelles seront reliées l’une à l’autre par la construction de l’actuelle sacristie)

Un des agents de la Mission allemande et française, M. Mast, a fait le service liturgique, après que le pasteur Vallette (président du Consistoire de Paris) eut invoqué le Dieu trois fois saint. Louis Meyer (inspecteur ecclésiastique) a fait la dédicace proprement dite et le pasteur Victor Goguel a remercié les autorités présentes, tous ceux qui ont contribué au développement de l’oeuvre des Batignolles, M. von Bodelschwing en particulier. La prédication, la première prononcée dans la nouvelle église, était confiée au pasteur Paul Muller, qui devenait le premier pasteur de la paroisse. Il prit pour texte le psaume 118: « Célébrez le Seigneur car il est bon… J’entrerai dans le temple, et je célébrerai le Seigneur. » Le chant des cantiques fut l’un des plus édifiants éléments de cette cérémonie; le jour tombait quand on chanta: « Reste avec nous, Seigneur, le jour décline… »

 

L’auteur de l’article du « Témoignage, le pasteur Hosemann,concluait: « La Mission n’a d’autre but que de maintenir le pur Evangile, fidèlement confessé. par nos pères, que nous devons transmettre à nos enfants et faire connaître à nos semblables, non comme un muet et stérile héritage, mais comme un appel vivant à la foi, à l’amour de Dieu, à la charité, à la vie éternelle qui est en Jésus-Christ. »

 

Le pasteur Muller était un homme de grande

distinction et d’une inépuisable charité. Sous sa direction, la paroisse et les écoles primaires, dont elle était dotée, prirent rapidement une réelle consistance. Le service en langue allemande fut célébré chaque dimanche, d’abord à 7 heures du soir, puis, dès 1867, à 2 heures de l’après-midi. Mais il fallut bientôt se rendre à l’évidence: la population allemande devenait rapidement française de sentiment et de langue, surtout les plus jeunes générations. On décida alors de faire appel à un pasteur parlant les deux langues, française et allemande, et le choix se fixa sur le pasteur Charles Pfender, qui vint s’installer dans le quartier, au 16 de la rue des Moines. Dès lors un service français fut célébré chaque dimanche à midi, conjointement au service allemand de l’après-midi.

 

Commencé en 1867, le ministère du pasteur Pfender se prolongea aux Batignolles jusqu’en 1874: il fut alors appelé à desservir la paroisse de Montmartre, l’actuelle paroisse Saint-Paul. Il eut pour successeur rue Dulong le pasteur Frédéric Walbaum. Le service en langue allemende a disparu, et c’est alors que la paroisse devint indépendante de la Mission et rattachée au Consistoire. Mais la Mission est restée jusqu’à nos jours propriétaire des locaux.

 

« Quoique privée de ses écoles (par les lois laïques des années 80), la paroisse, sous la direction éprouvée de son pasteur, connut’ un temps d’heureux et pacifiques développements. Malheureusement, l’état de

santé de M. Walbaum le força à renoncer au ministère en 1891. Alors s’ouvre pour la paroisse une ère difficile. Les embarras financiers de l’Eglise ne permettent pas au Consistoire de nommer immédiatement un nouveau titulaire. La paroisse est confiée temporairement à M. Edouard Lods. Mais ce pasteur estime qu’il doit consacrer son activité principale à l’église de la Rédemption et ne croit pas devoir faire des Batignolles son champ spécial de travail. Le Consistoire lui adjoint, à titre de vicaire, M. César Meyer. Mais le ministère plein de promesses de ce jeune pasteur est de trop courte durée. En 1903, il est appelé à la desserte de la paroisse de Puteaux-Courbevoie. La situation financière s’étant améliorée, le Consistoire nomme pasteur titulaire M. Jean Meyer. Mais encore une fois un changement prématuré devait interrompre des efforts qui n’étaient pas restés sans résultats. En 1908, cédant à des considérations supérieures à un appel du Conseil presbytéral de la Rédemption, M. J. Meyer devenait l’un des pasteurs de cette église. Il a eu pour successeur aux Batignolles le pasteur Auguste Schaffner, venant de Saint-Denis ». (cité d’après une notice historique d’Auguste Weber)

 

Auguste Schaffner était né à Paris en 1860, « dans ce quartier Saint-Marcel où son vénéré père se dépensait avec le pasteur Louis Meyer à cette belle œuvre de l’évangélisation populaire ». Il fit ses études à la Faculté de théologie de Paris, à la suite desquelles il fut nommé pasteur au Pays de Montbéliard, dans la paroisse de Saint-Maurice-sur-le-Doubs. En 1898, la Mission intérieure fait appel à son ministère et lui confie la paroisse de Saint-Denis. Après dix ans d’activité à Saint-Denis, « Le pasteur Schaffner est appelé par le Consistoire à diriger la paroisse de l’Ascension, où il arrive en 1908.

Dès son arrivée, il restaure, au point de la transformer entièrement, cette église qui est l’une des plus belles et des plus accueillantes de nos églises luthériennes de Paris ». Ce fut lui qui lui donna le nom d’ »église de l’Ascension ». Le pasteur Schaffner fut prématurément arraché à son ministère le 28 août 1922. (d’après un article nécrologique paru dans le journal de la Mission intérieure)

 

Si l’église de l’Ascension doit à ce pasteur son ordonnance architecturale actuelle, elle lui doit aussi d’avoir été le champ priviligié de la restauration liturgique qui a marqué dans notre Eglise luthérienne les premières années du XX° siècle, et dont Auguste Schaffner fut l’un des principaux artisans.

 

Nous avons eu entre les mains un exemplaire, le seul peut-être existant encore, du cahier polycopié contenant l’ordre liturgique que le pasteur Schaffner avait instauré pour le service divin dans son église de l’Ascension restaurée.

 

Nous y découvrons une richesse étonnante, pour cette époque où le mouvement en faveur de la liturgie n’en était encore qu’à ses balbutiements, tant par le déroulement du service que par les textes utilisés. Nous y trouvons en particulier I’ »Introit » avec le chant du « Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit » rétabli à sa place traditionnelle, ainsi que les « Collectes » propres à chaque dimanche, la lecture de « l’Epitre » et de « Evangile » traditionnels, suivi du chant du »Louange à toi, ô Christ! ». Mais nous y trouvons surtout un formulaire pour la célébration de la Sainte-Cène, qui redécouvre l’ordre historique, avec toute sa portée spirituelle: la. « Préface » avec le chant du « Sanctus », et le chant de l’ »Agnus Dei » précédant la distribution de la communion. C’était la grande innovation dans l’Eglise. C’est alors que fut également

Une réforme dans la célébration du culte ne pouvait, dans le climat d’alors, que rencontrer des oppositions, et c’est bien ce qui se produisit. Porté jusque devant le Synode, le débat devait se prolonger pendant plusieurs années. En 1910, dans son rapport inspectoral, le pasteur Auguste Weber ne se montrait pas indulgent pour les expériences du pasteur de l’Ascension: « En prenant possession de sa paroisse, le pasteur Schaffner y a apporté ses qualités particulières et le besoin d’activité et d’expansion qui le caractérisent. Le lieu de culte a été agrandi et embelli…. Des réunions, des œuvres diverses ont été créées….Il y a là toute une efflorescence rapide. Mon successeur (c’était le dernier rapport de l’Inspecteur Weber, parvenu à la limite d’âge) vous dira combien de ces fleurs ont donné des fruits, sur combien aura passé le vent desséchant ou la gelée destructive. »

Le débat s’envenima durant les années suivantes….En attendant, la paroisse de l’Ascension conserva sa liturgie, et fit école. C’est de son expérience que devait sortir des années plus tard le recueil liturgique de l’Eglise évangélique luthérienne de France, un recueil digne d’elle et de ses véritables principes.

 

Le pasteur Schaffner eut pour successeur le pasteur Ernest Brunnarius, qui devait exercer un très long ministère à l’Ascension. Beaucoup de membres actuels de la paroisse ont connu les temps difficiles de la guerre et de l’après-guerre. C’est à eux qu’il appartiendra dans quelques années d’écrire la suite de l’histoire de la paroisse de l’Ascension!

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